Archives du Mois : octobre 2025

« Tous les matins du monde »

Dimanche 12 octobre 2025 – 17 h – Temple de Meudon

Récital de Viole de gambe

Valentin TOURNET, Viole de gambe

Directeur de l’Ensemble de Musique baroque  « La Chapelle harmonique »

Entrée : 20 €, TR : 10 et 15 €.

Gratuit pour les mineurs de 18 ans

Réservation conseillée <pleinjeu@free.fr>

Renseignements : 06 09 76 29 23

 

 

PROGRAMME

M. de Sainte-Colombe, le pere : Les Pleurs pour Viole seule

M. de Sainte-Colombe, le fils : Prélude pour Monsieur Vauquelin

Chanson populaire traditionnelle : Une jeune fillette

M. de Sainte-Colombe, le fils : Fantaisie in E minor

M. de Sainte-Colombe, le pere : Gavotte du Tendre
Concert XLI a deux violes egales “Le Retour“

M. Marais : Improvisations sur les Folies d’Espagne L’Arabesque
Le Badinage

J.B. Lully, Le Bourgeois Gentilhomme : Marche pour la ceremonie des Turcs

M. Marais : La Reveuse

M. de Sainte-Colombe, le pere : Concert XLIV a deux violes egales “Tombeau Les Regrets“  Les Pleurs

 

 

Le film et la redecouverte de la musique ancienne

Adapte du roman de Pascal Quignard qui a ecrit les dialogues du film, Tous les matins du monde en a deliberement evacue les aspects politiques pour se centrer sur les rapports entre les deux hommes. La premiere sequence est un plan fixe de dix minutes presentant Marin Marais (Gerard Depardieu) age, artiste respecte de la cour royale, se rememorant la periode ou il fit la connaissance de Monsieur de Sainte- Colombe (Jean-Pierre Marielle), specialiste inconteste de la viole. Le reste du recit est un flash back lineaire au cours duquel la voix off de Marin Marais commente une partie de l’action. Le film (comme le roman) est alors le portrait saisissant d’un musicien misanthrope et intransigeant, inconsolable depuis la disparition de son epouse, rigide dans l’education de ses deux filles, mais acceptant de donner regulierement des recitals de viole auxquels assistent des membres de la Cour. Il remballe toutefois, non sans mepris, le musicien academique et le pretre charges de l’installer aupres du Roi. Les honneurs de la Noblesse ne sont pas pour Sainte-Colombe qui prefere accomplir son art dans une cabane vetuste, en rase campagne.

Le film est une belle reflexion sur la transmission de l’art et ses techniques : «Monsieur, vous faites de la musique, mais vous n’etes pas musicien», annonce-t-il definitivement a Marin Marais (interprete dans son age jeune par Guillaume Depardieu). Le recit devient alors celui d’une admiration frustree mais aussi d’un amour contrarie, a travers le personnage de Madeleine, la fille ainee (Anne Brochet, lumineuse), amoureuse du disciple de son pere et qui finira par sombrer dans la depression.

« Tous les matins du monde » permit de redecouvrir une musique baroque meconnue, incarnee par de somptueuses partitions dont La Reveuse et La Marche pour la Ceremonie des Turcs de Marin Marais (1656-1728). La photo d’Yves Angelo est sublime et les eclairages et cadrages tentent de retrouver l’univers de certaines compositions picturales, dans la lignee de La Kermesse heroique ou Barry Lyndon. Ces correspondances entre la musique et la peinture sont synthetisees par le personnage du peintre Baugin (Michel Bouquet), venu realiser un tableau pour immortaliser le lieu ou le spectre de Mme de Sainte-Colombe a surgi, muse fantomatique et a jamais perdue. Le film, qu’on ne saurait cantonner au genre du “produit culturel“ pour melomanes, obtint le Prix Louis Delluc. Son succes n’echappa pas aux professionnels de la profession qui lui accorderent sept Cesar dont ceux du meilleur film et du meilleur realisateur pour Alain Corneau : celui-ci confirmait apres Nocturne indien qu’il pouvait explorer d’autres voies que le polar. Et Jean-Pierre Marielle offre ici la meilleure interpretation de sa carriere.

 

Note d’intention

Tous les matins du monde represente le choc fondateur de mon enfance, mais aussi de ma vie de musicien. J’ai decouvert a quatre ans la bande originale du film – et vers sept ans ce dernier, qui comporte tout de meme quelques scenes assez impressionnantes pour les tout-petits !

Mais des ce premier contact avec la musique seule, tout etait joue. Je dois evidemment a mon pere, guitariste, et a ma mere, melomane passionnee, de me l’avoir faite entendre, cependant il n’y eut de leur part aucun discours pedagogique. La rencontre fut purement sensible, avec le timbre de la viole de gambe, que je demandai immediatement a apprendre. J’avais deja entendu l’instrument au disque, utilise pour la basse continue. Jamais sa voix seule, dont les couleurs et les inflexions me fascinerent bien davantage que les plages orchestrales du disque, qu’on pouvait imaginer plus facile d’acces.

Au fil des annees, je m’impregnais evidemment de la narration du film d’Alain Corneau, puis me plongeais dans le roman de Pascal Quignard. Je mesurais, en comparant l’interpretation de Jordi Savall dans la bande-son et celle des memes œuvres durant ses concerts, combien il s’etait mis avec la premiere dans la peau des personnages de Sainte-Colombe et Marin Marais, infusant chaque accent de leur psychologie, quitte a assumer une approche antihistorique qu’il ne retenait evidemment pas en jouant les pieces detachees de ce contexte. L’envie de m’abstraire egalement des contraintes musicologiques que m’imposaient mes professeurs, le plus souvent a juste titre, et de me livrer egalement a cet exercice theatral avec mes propres intuitions et ma propre sensibilite devint alors irresistible.

VALENTIN TOURNET

Paris, Mars 2024