Pour la dernière séance de 2012, nous avions pris le parti de ne présenter qu’un seul ouvrage, Cosmos de Witold Gombrowicz, afin de pouvoir explorer le texte et son auteur plus en profondeur, et également laisser aux participants du temps pour nous proposer leurs coups de cœur de l’année.
A la fois provocatrice, obsessionnelle, grotesque et parfois grinçante, l’œuvre phare de Gombrowicz n’aura laissé aucun de nos lecteurs indifférents, suscitant des sentiments très contrastés. Certains, pris par la machinerie infernale de l’écriture tourbillonnante, se sont sentis obligés d’aller jusqu’au bout pour comprendre l’énigme suggérée par la succession de faits et de signes étranges qui parsèment l’histoire : moineau pendu, fil de fer suspect, bouches obsédantes etc. D’autres, rebutés par l’aspect peu classique de cette étrange enquête policière, ont rapidement abandonné le singulier ouvrage. Conscients de l’originalité et parfois de la difficulté de l’écriture et des thématiques gombrowiciennes, nous avons néanmoins voulu partager notre enthousiasme et faire découvrir cet « ovni » littéraire en tentant, par l’analyse du roman, de faire comprendre – sinon apprécier – cet auteur majeur du XXème siècle. Cosmos, d’ailleurs couronné par le Prix International de Littérature en 1967, avait en son temps suscité le même genre de réactions polarisées.
Dans son Journal de 1962-63, Gombrowicz présente son mystérieux projet ainsi : « Je pose deux points de départ, deux anomalies très éloignées l’une de l’autre : a) un moineau pendu ; b) l’association de la bouche de Catherette à la bouche de Lena. (…) Qu’est-ce qu’un roman policier ? Un essai d’organiser le chaos. C’est pourquoi mon Cosmos, que j’aime appeler « un roman sur la formation de la réalité », sera une sorte de récit policier. » Witold, le jeune narrateur, et son ami Fuchs débarquent en plein été dans une pension de famille villageoise. La découverte d’un moineau mort, pendu à un fil de fer au creux d’un taillis, est le prélude à une série de signes tout aussi étranges qui vont se nouer les uns aux autres, dans une atmosphère de plus en plus étouffante de faux roman policier, jusqu’au dénouement brutal, une suite de pendaisons. Toute l’« intrigue » peut d’ailleurs se résumer à la résolution d’un seul et unique problème : comment découper le réel, quels éléments élire et combiner, quels agencements-interprétations réaliser ? Exemple : « Le brelan moineau-grenouille-Catherette me poussait vers cet orifice buccal et transformait l’obscure cavité des buissons en bouche, agrémentée de cette coquetterie à la lèvre… de travers. »
Sartre a pu dire de ce roman : « Il existe aussi des romans d’un autre genre, de faux romans comme ceux de Gombrowicz, qui sont des sortes de machines infernales. Gombrowicz a une très bonne connaissance de la psychanalyse, du marxisme et de bien d’autres choses, mais il garde à leur égard une attitude sceptique, si bien qu’il construit des objets qui se détruisent dans l’acte même de leur construction – créant ainsi le modèle de ce qui pourrait être un roman à la fois analytique et matérialiste. »
Nous avons ensuite approfondi le personnage de Gombrowicz. en diffusant un petit documentaire réalisé par Michel Polac, Dominique de Roux (qui dirigea un Cahier de l’Herne consacré à Gombrowicz) et Michel Vianey en 1969 dans le cadre de l’émission « Bibliothèque de Poche », tourné trois mois avant la mort de l’auteur.
Vous pouvez voir ce film sur le site de l’INA : Documentaire Gombrowicz (1969)
Nous tenons à remercier les lecteurs présents pour leur fidélité et leur enthousiasme, et leur donnons rendez-vous le samedi 9 février 2013 avec la sélection suivante :
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